A la découverte des racines romaines du Kosovo

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Ruines mises à jour de la cité antique d’Ulpiana - Justiniana Secunda Crédit photo : ENS/Université PSL

La cité antique d’Ulpiana- Justiniana Secunda

Le Kosovo abrite le parc archéologique d’Ulpiana. Cette cité antique, renommée Justiniana Secunda au VIe siècle après J-C, se situe sur le territoire de la commune à majorité serbe de Gračanica. Elle doit sa création à l’Empereur Trajan, né sous le nom de Marcus Ulpius Traianus, qui conquit la Dacie (actuelle Roumanie et Moldavie). Aujourd’hui située à 8km au sud de la capitale kosovare, elle occupait une situation stratégique dans la géographie antique de la région. Établie au carrefour de deux axes majeurs, Ulpiana était une étape sur la route reliant la côte dalmate à la Dacie et sur la route menant à Thessalonique.

Étape incontournable entre les parties occidentales et orientales de l’Empire romain, l’intensité des flux commerciaux participa à sa prospérité. Cette dernière s’appuya également sur l’exploitation de mines de métaux des alentours et de terres agricoles fertiles. La cité florissante s’étendait sur 35 hectares. Sa situation stratégique lui offrit une histoire riche et mouvementée.

Le site archéologique d’Ulpiana a été ouvert au public en 2016 à des fins éducatives et touristiques. En parallèle, il fait l’objet de fouilles archéologiques approfondies qui visent à mettre au jour les secrets de la cité antique.

Le potentiel du site archéologique d’Ulpiana-Justiniana Secunda

*Une préservation exceptionnelle du site

Les premières fouilles systématiques sur le site d’Ulpiana sont extrêmement tardives et remontent à 1953. L’absence de recherches archéologiques au cours du 19e siècle a pour conséquence l’exceptionnelle préservation du site. Les couches supérieures demeurent intactes et ont été épargnées par la dispersion engendrée par des fouilles plus profondes. Seule une partie réduite de la cité antique a été couverte par les chantiers de fouilles successifs qui n’ont pas entamé de recherches en dessous des niveaux de construction datant des IV-VIIe siècles. L’exceptionnelle préservation du site, qui dispose encore de ses couches supérieures, permet d’étudier plus finement les dernières évolutions politiques et urbanistiques qu’a connues Ulpiana avant sa complète destruction à la suite du tremblement de terre de 518.

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Photographie d’orientation sud>nord de la tranchée franco-kosovare de 2009, montrant une couche de destruction liée à un incendie de grande amplitude. Crédits : Lamboley, Shukriu, Hajdari 2016, cl. Lamboley.

* Une littérature scientifique lacunaire sur le déclin des cités antiques dans la région

D’autre part, l’absence de fouilles à Ulpiana a longtemps réduit son Histoire aux mentions littéraires des textes nous étant parvenus. Les connaissances portant sur cette cité et plus précisément sur son déclin sont encore lacunaires. Aussi, les historiens ont longtemps considéré que les incursions barbares du VIIe siècle avaient conduit à la disparition rapide de Justiniana Secunda (renommée ainsi au VIe siècle par Justinien). Cette thèse a été infirmée par les résultats des recherches menées par la mission archéologique franco-kosovare menée entre 2018 et 2021. La tenue de nouvelles campagnes de fouilles permettra de nous renseigner sur les conditions de déclin d’une cité antique, peu documentées jusqu’ici.

Le potentiel du site archéologique repose sur son exceptionnelle préservation ainsi que sur le silence de la recherche sur les évolutions des cités sous l’antiquité tardive. C’est pourquoi le projet de fouilles franco-kosovar porte sur l’évolution des espaces publics de la cité d’Ulpiana au cours de ses derniers siècles d’existence, afin d’approfondir nos connaissances sur la transition des villes entre l’Antiquité tardive et le Moyen-Age.

L’expertise archéologique française au Kosovo

*Une coopération franco-kosovare pérenne et fructueuse

A l’occasion des fouilles menées entre 2006 et 2010 le site d’Ulpiana avait fait l’objet d’une première coopération franco-kosovare. Les fouilles étaient alors menées sous la direction de J.-L. Lamboley (Université Lumière Lyon 2) et E. Shukkriu (Université de Prishtina). En 2017, la signature d’un accord entre l’École Normale Supérieure de Paris (ENS), l’Ambassade de France au Kosovo, l’Université de Pristina, le ministère de la Culture, de la jeunesse et des Sports du Kosovo et l’Institut Archéologique du Kosovo (IAK) renouvelle la coopération franco-kosovare à Ulpiana. La MAFKO (Mission Archéologique Franco-Kosovare) est alors établie. La coopération engagée arbore trois volets complémentaires : scientifique, pédagogique et muséographique.

Dans ce cadre, une première mission s’est tenue à l’été 2017. Les fouilles ont alors été dirigées par M. Berisha (IAK), C.J. Goddard (CNRS) et A. Hadjari (Université de Pristina). Elles ont été suivies par d’autres chantiers de fouilles les années suivantes (en 2018, 2019, 2021) avec une interruption en 2020 en raison des restrictions sanitaires. La campagne de fouilles menée à l’été 2021 a permis une datation précise des différentes phases du temple de la cité d’Ulpiana, de sa construction à sa destruction et de saisir quelle fut son insertion au sein du tissu urbain. Ainsi, nombre d’objectifs fixés en 2019 ont été atteint à l’issue de cette nouvelle phase.

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Crédit photo : ENS/Université PSL

*La Commission Européenne s’appuie sur l’expertise française pour la mise en œuvre d’un projet de valorisation du site

Le choix de la Commission européenne d’attribuer une subvention à l’ENS sur fonds de l’Instrument de pré-adhésion (IPA) reconnaît la qualité du travail des archéologues français et kosovars à l’œuvre sur le site d’Ulpiana. Lancé en 2021, le projet « Mission européenne d’archéologie au Kosovo) : d’Ulpiana à Justiniana Secunda », financé par la Commission, vise à poursuivre les travaux archéologiques et de valorisation du site d’Ulpiana en adoptant une approche globale du site.

Il poursuit les objectifs scientifiques des projets précédents et entend participer au développement économique de la région. La structuration d’une filière touristique s’appuyant sur le patrimoine culturel aura des retombées économiques cruciales pour la commune de Gračanica alors que les revenus agricoles sont insuffisants pour subvenir aux besoins de ses habitants. La tenue de la mission archéologique favorise la création d’emplois directs et génère des revenus indirects grâce à l’attractivité touristique de la ville. De plus, la mission favorise le perfectionnement d’outils et de pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement et des sites archéologiques. La coopération avec les agriculteur.rice.s de Gračanica est d’autant plus cruciale que la majeure partie de la cité antique se trouve dans la « réserve archéologique » sous des parcelles de terre exploitées. En effet, les recherches géophysiques ont révélé que moins de 2 % de la cité antique a été mise au jour.

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Utilisation de la technique géophysique sur le site d’Ulpiana Crédit photo : ENS/Université PSL

Ce projet est caractérisé par le recours à grande échelle de la géophysique, technique non invasive qui permet de préserver les ruines non visibles. Les résultats ont largement dépassé les attentes de la mission. L’utilisation d’une technique de pointe en 2019 a permis d’approfondir les connaissances du tissu urbain d’Ulpiana, là où les recherches géophysiques menées par la mission germano-kosovare entre 2008 et 2012 avaient abouti à des résultats limités.

Enfin, le programme revêt un volet universitaire qui vise à renforcer les capacités de la filière archéologique kosovare en soutenant les institutions en place et en développant un cursus universitaire de haut niveau pour former une génération d’archéologues et de professionnels du tourisme qualifiés. Il s’agit d’accompagner l’ensemble de la filière archéologique kosovare vers l’adoption des standards européens et internationaux. Cette dimension du projet inclut l’établissement d’un laboratoire de recherches en archéologie au Kosovo qui s’appuie sur l’expérience de l’ENS. Ce laboratoire sera équipé du matériel fourni par l’ENS nécessaire à la conduite de fouilles et grâce auquel les étudiant.e.s de l’Université de Pristina pourront compléter leur formation. A terme, le renforcement de sa filière archéologique permettra au Kosovo de proposer ses services aux pays voisins et de s’établir comme chef de file dans les Balkans sur ce créneau d’expertise.

La coopération universitaire franco-kosovare dans le domaine de l’archéologie

La signature de l’accord en 2017 établit une continuité des actions de coopération en matière universitaire et scientifique dans le domaine archéologique, engagées dès 2006 entre la France et le Kosovo. En témoigne la présence de M. Arben Hajdari, Professeur au Département d’Anthropologie et d’Histoire de l’Université de Pristina, partenaire clef de la coopération archéologique franco-kosovare et ancien boursier du gouvernement français qui avait poursuivi une formation en archéologie en France, à Lyon.

Illustration : https://bit.ly/3wxAW9C

Dans ce cadre les étudiants de l’Université de Pristina ont la possibilité de poursuivre un master à l’ENS (Ecole Normale Supérieure) en France ou d’y mener leurs travaux de thèses en archéologie. Afin de faciliter la mobilité des étudiants, l’Ambassade de France au Kosovo et le ministère de la culture kosovar accordent des bourses à des étudiant.e.s kosovar.e.s allant poursuivre leurs études à l’ENS ainsi que dans d’autres établissements universitaires.

La mobilité universitaire des étudiant.e.s kosovar.e.s en France s’intègre également dans le projet européen « Mission européenne d’archéologie au Kosovo : d’Ulpiana à Justiniana Secunda » qui prévoit la création d’un master européen en archéologie destiné aux étudiant.e.s européen.ne.s et kosovar.e.s. Cette formation participera au renforcement de la filière archéologique kosovare d’une part et à l’intégration du patrimoine archéologique national dans l’héritage antique européen d’autre part. Il s’agit ainsi de rapprocher le Kosovo du réseau européen de la recherche et de souligner ses racines européennes.

A la mobilité universitaire s’ajoute une formation pratique au Kosovo, sur le site d’Ulpiana. Les étudiants de l’ENS et de l’Université de Pristina peuvent participer aux stages et chantiers archéologiques offerts respectivement ou conjointement par l’institution partenaire. Ainsi, à l’occasion des fouilles une dizaine d’étudiant.e.s français.es et kosovar.e.s ont été associé.e.s sur toute la durée de la mission.

Enfin, la coopération universitaire dans le domaine archéologique porte une attention particulière à la composante céramologique et aux analyses archéométriques (i.e. des analyses de sciences dures appliquées à l’archéologie). D’une part, la conservation du site archéologique permet de mener des études céramologiques approfondies, ce d’autant plus qu’elles n’ont pas été menées par le passé. Les recherches permettront notamment d’évaluer la puissance économique de la cité antique. D’autre part, l’étude de la céramique dans le programme de formation à destinations des étudiant.e.s kosovar.e.s s’avère cruciale alors que la présence de céramologues fait défaut au Kosovo. Des analyses chimiques, botaniques, carpologiques (étude des graines) permettent, quant à elles, de lever le voile sur la vie quotidienne des habitants de la cité antique ainsi que sur son économie.

L’investissement français de longue date dans la filière archéologique kosovare s’inscrit également dans une stratégie de coopération territoriale dont la prochaine concrétisation sera l’événement « ATMOSPHERES … territoriales » en novembre 2022. Séminaires, colloques et missions de terrain portant, entres autres, sur la coopération franco-kosovare à Ulpiana, permettront de poursuivre le renforcement des liens entre les deux pays partenaires. Cet événement établit une continuité avec la mission diplomatique qui s’est tenue dans les Hauts-de-France en juin dernier durant laquelle les partenaires kosovar.e.s issu.e.s du monde universitaire ont pu rencontrer leurs homologues français.es.

Importante découverte sur le site archéologique d’Ulpiana

Grâce au soutien de l’Union européenne🇪🇺, la mission archéologique franco🇫🇷-kosovare 🇽🇰 dirigée par Christophe J. Goddard (CNRS/ENS/AOROC), Arben Hajdari (U. Pristina « Hasan Prishtina »), Milot Berisha (Institut archéologique du Kosovo) a réalisé une importante découverte sur le site archéologique d’Ulpiana : la dédicace par l’empereur Justinien (527-565 après J.-C.) et sa femme Théodora d’une « urbis Dardaniae », d’une nouvelle ville de la province de Dardanie (créée par son lointain prédécesseur Dioclétien), dont le nom est bien connu grâce au témoignage de l’historien contemporain Procope : Iustiniana secunda. Il s’agit de l’une des très rares dédicaces latines du couple impérial dans le monde romain tardif. Le texte confirme l’attachement bien connu de l’empereur pour sa province d’origine, qu’il manifesta par la reconstruction de deux cités auxquelles il concéda son nom, Iustiniana prima et Iustiniana secunda, à la suite du terrible tremblement de terre et de la série d’inondations qui avaient complètement détruit Ulpiana en 518 après J.-C. La très imposante basilique épiscopale, découverte par l’équipe européenne en 2022, est l’une des plus importantes réalisations architecturales de ce grand bâtisseur, comparables aux grandes églises contemporaines de Ravenne, de Caricin Grad ou de Constantinople.

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Cette découverte est le résultat d’une longue et fructueuse collaboration scientifique et universitaire entre la France et le Kosovo, initiée en 2006 par J.-L. Lamboley (U. Lyon 2) et E. Shukriu (U. Pristina "Hasan Prishtina", entre l’École Normale Supérieure-PSL, l’Ambassade de France au Kosovo, l’Université de Prishtina « Hasan Prishtina », le Ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports du Kosovo, l’Institut archéologique du Kosovo, récemment rejoints par La Sapienza- Università di Roma🇮🇹, une collaboration européenne, marquée par une approche pluridisciplinaire, qui bénéficie d’un programme d’échanges universitaires qui a permis de former une nouvelle génération d’archéologues kosovares, francophones, d’une très grande compétence.

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Dernière modification : 25/08/2023

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